Temps futurs! vision sublime!
Les peuples sont hors de l'abîme.
Le d&sert morne est traversé.
Après les sables, la pelouse;
Et la terre est comme une épouse.
Et l'homme est comme un fiancé!
Dès à présent l'œil qui s'élève
Voit distinctement ce beau rêve
Qui sera le réel un jour;
Car Dieu dénoûra toute chaîne,
Car le passé s'appelle haine
Et l'avenir se nomme amour!
Dès à présent dans nos misères
Germe l'hymne des peuples frères;
Volant sur nos sombres rameaux,
Comme un frelon que l'aube éveille
Le progrès, ténébreuse abeille,
Fait du bonheur avec nos maux.
Oh! voyez! la nuit se dissipe.
Sur le monde qui s'émancipe,
Oubliant Césars et Capets,
Et sur les nations nubiles,
S'ouvrent dans l'azur immobiles,
Les vastes ailes de la paix!
O libre France enfin surgie!
O robe blanche après l'orgie!
O triomphe après les douleurs!
Le travail bruit dans les forges,
Le ciel rit, et les rouges-gorges,
Chantent dans l'aubépine en fleurs!
La rouille mord les hallebardes.
De vos canons, de vos bombardes,
Il ne reste pas un morceau
Qui soit assez grand, capitaines,
Pour qu'on puisse prendre aux fontaines
De quoi faire boire un oiseau.
Les rancunes sont effacées;
Tous les cœurs, toutes les pensées,
Qu'anime le même dessein,
Ne font plus qu'un faisceau superbe;
Dieu prend pour lier cette gerbe
La vieille corde du tocsin.
Au fond des cieux un point scintille.
Regardez, il grandit, il brille,
Il approche, énorme et vermeil.
O République universelle,
Tu n'es encor que l'étincelle,
Demain tu seras le soleil!
Victor Hugo
Les châtiments