Aux premiers jours du monde

Aux premiers jours du monde.
Aux premiers jours du monde, alors que la nuée,
Surprise, contemplait chaque chose créée,
Alors que sur le globe, où le mal avait crû,
Flottait une lueur de l'éden disparu,
Quand tout encor semblait être rempli d'aurore,
Quand sur l'arbre du temps les ans venaient d'éclore,
Sur la terre, où la chair avec l'esprit se fond,
Il se faisait le soir un silence profond,
Et le désert, les bois, l'onde aux vastes rivages,
Et les herbes des champs, et les bêtes sauvages,
Émus, et les rochers, ces ténébreux cachots,
Voyaient, d'un autre obscur, couvert d'arbres si hauts
Que nos chênes auprès sembleraient des arbustes,
C'étaient Ève aux cheveux blanchis, et son mari,
Le pâle Adam, pensif, par le travail meurtri,
Ayant la vision de Dieu sous sa paupière.
Ils venaient tous les deux s'asseoir sur une pierre,
En présence des monts fauves et soucieux,
Et de l'éternité formidable des cieux,
Leur  œil triste rendait la nature farouche.
Et là, sans qu'il sortît un souffle de leur bouche,
Les mains sur leurs genoux, et se tournant le dos,
Accablés comme ceux qui portent des fardeaux,
Sans autre mouvement de vie extérieure
Que de baisser plus bas la tête d'heure en heure,
Dans une stupeur morne et fatale absorbés,
Froids, livides, hagards, ils regardaient, courbés
Sous l'être illimité sans figure et sans nombre,
L'un décroître le jour, et l'autre, grandir l'ombre.
Et, tandis que montaient les constellations,
Et que la première onde aux premiers aleyons
Donnait sous l'infini le long baiser nocturne,
Et qu' ainsi que des fleurs tombant à flots  d'une urne
Les astres fourmillants emplissaient le ciel noir,
Ils songeaient et, rêveurs, sans entendre, sans voir,
Sourds aux rumeurs des mers d'où l'ouragan s'élance
Ils pleuraient tous les deux, aïeux du genre humain,
Le père sur Abel, la mère sue Caïn.
 
Marine-Terrace,septembre 1855.
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