EPITAPHE

EPITAPHE.
Jeune ou vieux,imprudent ou sage,
Toi qui, de cieux en cieux errant comme un nuage,
Suis l'instinet d'un plaisir ou l'appel d'un besoin,
Voyageur, où vas-tu si loin?__
N'est-ce donc pas ici le but de ton voyage?

La mort, qui partout pose un pied victorieux,
A couvert mes splendeurs d'ombres expiatoires.
Mon nom même a subi son voile injurieux;
Et le morne oubli cache à ton œil curieux
S'il est dans mon néant quelqu'une de tes gloires.

Passant, comme toi j'ai passé.
Le fleuve est revenu se perdre dans sa source.
Fais silence; assieds-toi sur ce marbre brisé.
Pose un instant le poids qui fatigue ta course;
J'eus de même un fardeau qu'ici j'ai déposé.

Si tu veux du repos, si tu cherches de l'ombre,
Ta couche est prête, accours!loin du bruit on y dort.
Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre,
Viens, c'est ici l'écueil; viens, c'est ici le port!

Ne sens-tu rien ici dont tressaille ton âme?
Rien qui borne tes pas d'un cercle impérieux?
Sur l'asile qui te réclame,
Ne lis-tu pas ton nom en mots mystérieux

Éphémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d'audace ou palpitant d'effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène.

Ne foule pas les morts d'un pied indifférent;
Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre;
L'homme de jour en jour s'en va pâle et mourant;
Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre.

Mais devant moi ton cœur à peine est agité!
Quoi  donc! pas un soupir! pas même une prière
Tout ton néant te parle, et n'est point écouté.
Tu passes!__ en effet, qu'importe cette pierre?
Que peut cacher la tombe à ton œil attristé?
Quelques os détachés, un reste de poussière,
Rien peut-être,__et l'éternité!

Victor Hugo 1823
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