Pierre Pucheu, ministre de l'intérieur

Pierre Pucheu, ministre de l'intérieur.
Venant d'Oran,trois automobiles roulent en cortège,le 26 octobre 1943
Alain Decaux de l' Académie Française
Venant d'Oran,trois automobiles roulent en cortège, le 26 octobre 1943 au soir,sur la route d'Alger.Les premières demeures de la Ville blanche, devenue capitale de la France combattante, pourrait déjà se découvrir si la nuit qui tombe et les lumières masquées des véhicules--état de guerre oblige--n'interdisaient pratiquement toute visibilité. D'ailleurs, l'homme qui,entre deux gendarmes, replie sa haute taille à l'arrière de la deuxième voiture n'y songe pas.Pour lui,Alger ne représente que la perspective d'un péril immédiat.
Sur son costume croisé,il a endossé un pardessus bleu: l'automne algérien n'est pas chaud cette année-là. Ce prisonnier est âgé de quarante-quatre ans.Avec des traits fortement accusés,des cheveux noirs plaqués,des lunettes d'écaille rondes, il évoque assez bien, poussé jusqu'à la caricature, l'aspect du technocrate selon Vichy.
Il s'appelle Pierre Pucheu.
Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Darlan,il a quitté son poste,en avril 1942,lorsque le Maréchal  a rappelé Pierre Laval au pouvoir.Après le débarquement allié en Afrique, il s'est adressé au général Girauld, successeur de Darlan, pour lui annoncer son désir de rejoindre l'armée de libération qui se formait sous ses ordres.La lettre qu'il a reçue en réponse a comblé ses espoirs. Giraud se déclarait favorable à son arrivée et à son insertion dans l'armée.
Comment, dans la voiture qui l'emporte vers Alger, le prisonnier ne se remémorerait-il pas la lettre qui a décidé de son destin et les événements qui ont suivi:son débarquement à Casablanca, son internement quelques jours  plus tard dans le sud marocain, son transfert à la prison civile de Meknès, son inculpation devant le tribunal militaire, l'annonce qu'il sera jugé à Alger?
Ce qui va commencer, c'est le premier procès de l'épuration.

Né le 27 juin 1899,Pierre Pucheu semble avoir été mis au monde pour accompagner les soubresauts-- et les tragédies-- d'un demi-siècles d'histoire.Celui que la gauche ne cessera de dénoncer comme "l'homme des trusts" est, à l'instar de Maurice Thorez, un"fils du peuple". Son père,petit paysan des Pyrénées, apprend le métier de tailleur avant  de s'expatrier en Argentine. Rentré en France, il travaille chez un patron puis s'installe à Beaumont-sur-Oise où il épouse une comptable. Pour que les deux fils puissent entreprendre des études,les Pucheu se saignent aux quatre veines.
Pierre, l'aîné, se révèle le plus brillant. De la sixième à la seconde,il est interne au lycée de Beauvais. De son propre aveu,"les premiers mois furent assez durs". Ses parents ont par économie affublé ce garçon plus jeune que la plupart de ses camarades, grand mais malingre,plutôt que de la capote que de la capote habituelle des collégiens,d'une grande pèlerine bleue toute neuve. L'enfance déteste ce qui sort de l'uniformité. L'élève Pucheu se voit la risée du collège. Il souffre en silence jusqu'au jour où il décide de se battre chaque fois qu'on s'en prendra à lui."Au bout de quelques semaines, j'avais récolté pas mal de mauvais coups et beaucoup de punitions,mais les plus forts craignaient de rencontrer un adversaire aussi coriace. J'y gagnai une solide considération et, en quelques mois, je ne connus plus que d'excellents camarades".
Il a compris deux choses:1°la vie est un combat;2° pour la gagner, il faut être armé moralement et physiquement. Il fera donc du sport. Beaucoup. On le verra même capitaine de l'équipe de football de Louis-le-Grand et champion de France universitaire. Comme sa marraine lui a fait cadeau d'une bicyclette,dès que viennent les vacances il traverse la France de part en part pour rejoindre, au Béarn, ses grands-parents paysans. Nul n'a plus de c?ur à la moisson. Ce qui chaque année le désespère,c'est que la rentrée le force à rater les vendanges.
En 1914,son père part pour la guerre.Sa mère, trouve du travail à Paris. On doit habiter chez une tante qui ne dispose que d'une pièce et d'une cuisine.Les deux s?urs se partagent le lit,Pierre et son frère couchent par terre sur un matelas. A quinze ans,Pierre entre comme boursier au lycée Carnot. Il découvre en même temps"le riche quartier du boulevard Malesherbes":et de la plaine Monceau": les élèves dit-il,"étaient à peu près tous de familles extrêmement aisées.Ils se différenciaient surtout, sans bagarres ouvertes dans es grandes classes, mais avec une animosité perceptible sous la courtoisie des bonnes manières de la grande bourgeoisie,entre les israélites,très nombreux dans le quartier,et les autres". Le jeune Pucheu est trop pauvre pour fréquenter ces garçons-là mais il observe.
A l'armée,son père tombe gravement malade. Il va traîner--longuement--dans les hôpitaux militaires. Sa dernière satisfaction sera de voir son fils Pierre décrocher,à la fin de l'année scolaire 1916, le baccalauréat avec mention bien, le prix de philosophie et le prix d'excellence.Muni d'une bourse d'internat pour Louis-le-Grand--véritable bouillon de culture des forts en thème--il va préparer Normale,
ambition de toutes les futures élites. La mort de son père le renforce dans la nécessité où il se sent d'aider cette mère qui s'épuise au travail. A dix-neuf ans,il est licencié ès lettres. La guerre n'est pas finie, il est appelé mais ne connaîtra pas les derniers combats et ira quelque temps occuper la Rhénanie. En octobre 1919,reçu second à l'Ecole normale supérieure, il choisit le demi-pensionnat,ce qui lui laisse trois cents francs par mois. Cette somme, et celles que lui procurent des leçons particulières bien rémunérées, lui permettent de louer pour sa mère et sa tante un appartement enfin décent. Une chambre pour chacun: merveille! Un peu plus tard,Pierre aidera sa mère à acheter,dans le village pyrénéen de son père,une petite maison où--avec sa soeur-- elle finira ses jours sans souci matériel.


Alors que tant d'anciens de Normale ont chanté les louanges de l'Ecole? Pucheu s'y ennuie.Il juge les professeurs médiocres,les trois quarts de l'enseignement sans intérêt. Ce qui le retient,c'est l'ambiance, le contraste inégalé de fantaisie et de gravité, mais aussi le contact de camarades  prématurément mûris: beaucoup ont connu la guerre et le front.
De moins en moins il envisage d'enseigner. A des amis,il lance un jour en guise de plaisanterie:
--Je viens de me vendre au grand capital!
Rencontré par hasard,le président de la Société de Pont-à-Mousson, séduit par sa vivacité d'esprit,son intelligence brillante,son goût du combat, l' a engagé. D'emblée, voilà voilà Pucheu mêlé aux grandes affaires. Très vite, on le tiendra pour un des meilleurs spécialistes se la métallurgie française. Il passe, en 1925 au Comptoir de l'industrie sidérurgique,en devient,à vingt-sept ans le directeur des exportations, bientôt le principal animateur.Dès lors, il sillonne l'Europe,traite d'égal à égal avec les magnats de la Ruhr,les industriels suédois d'avant-garde, les doctrinaires soviètiques de l'acier.Le monde prend pour lui un sens neuf.A chacun de ses retours,il s'afflige à retrouver une France comme figée dans un XIXème siècle qui n'en finit pas de mourir. Pucheu, homme de l'audace,ne comprend pas que les Français se ferment frileusement à tout esprit de conquête tout en accordant une place qu'il juge démesurée aux jeux stériles de la politique. 
Le 6 février 1934 va changer tout cela.Devant le spectacle de cette foule qui,place de la Concorde,marche sur le Palais-Bourbon en criant" A bas les voleurs!" et d'où l'on emporte des cadavres,il se sent bouleversé.Ne pourrait-on malgré tout refaire quelque chose de cette France qui garde au fond d'elle même--il en est maintenant persuadé-- d'éclatantes ressources?
Aux yeux de Pucheu,si les Français se sont mis à douter d'eux-mêmes, c'est parce que le système en soi est vicieux. Ailleurs--Pucheu l'a vu--on met les bouchées doubles: Hitler est en train de faire du IIIe Reich le plus redoutable instrument de guerre que peut-être l'on ait jamais vu; en quinze années,dans un total mépris de l'humain mais avec une efficacité indéniable,l'Union soviétique a parcouru un siècle.
Au sein de ce concert paradoxal,les démocrates se sentent bien seuls.Ils songent soit à renforcer la démocratie,soit à la réformer.D'aucuns rêvent d'un "Etat fort" qui ne devrait rien aux exemples de Rome,Berlin ou Moscou.C'est le cas du colonel de La Roque qui fonde les Volontaires nationaux.Pucheu y adhère.Dans cette ligue--c'en est une--il croira trouver"enthousiasme,abnégation et volonté de bien faire". Comme une sorte de logique le conduit à être le premier partout,il appartient bientôt à l'état-major du mouvement.Il s'y sent mal à l'aise.Pucheu,meneur d'industries,estime que le vrai problème du XXe siècle est celui du travail et non du profit.Il voit les travailleurs exilés de l'Etat et pensequ'il faut les y faire rentrer,restaurer leur dignité en leur procurant sécurité et garanties.Ainsi tuera-t-on dans l'oeuf cette lutte des classes prônée par Marx et qui n'apporte rien à l'Etat. A plusieurs reprises,Pucheu a sollicité de La Rocque, quant aux problèmes prioritaires à ses yeux, une réponse précise. Rien n'est venu.Il soumet au colonel un manifeste qui "rejetant marxisme et capitalisme,pose le problème de la dignité humaine" et propose de nouvelles formes de rémunération des travailleurs. La Rocque,qui recrute largement au centre mais ne peut méconnaître son importante aile droite,redoute de choquer cette dernière.Il refuse le projet.Alors,Pucheu rompt avec celui dont il dira qu'il "stérilisait par sa médiocrité ce qui aurait pu être un grand renouveau".
C'est le temps où Pucheu se sent en parfait accord avec des hommes de son âge tels le polytechnicien Robert Loustau et d'autres.Ensemble, on jette les bases d'une économie nouvelle,divisée entre secteur libre et secteur planifié, Pucheu écrit:"Un minimum devrait être assuré à tous...Le syndicalisme sera unifié,rendu obligatoire,cantonné à la profession.Dans toute firme de plus de cinquante ouvriers sera créé un coonseil d'entreprise tripartite. Les grandes entreprises seront divisées en ateliers autonomes,gérés par des ouvriers devenus petits patrons...Un enseignement sera créé pour permettre aux travailleurs de perfectionner leurs connaissances en dehors des heures de travail..."
La droite aurait-elle évolué en France? Pucheu est-il un homme de droite? Ce à quoi il rêve surtout--il n'est le seul--c'est à un socialisme national. Déçu par la Rocque, il est séduit par Jacques Doriot. Ce communisme en rupture de ban,ancien membre de l'exécutif du Komintern,idole de Saint-Denis,brûle aujourd'hui ce qu''il a adoré. Orateur né,il électrise les foules par un verbe enflammé et des idées trop simples. Au parti populaire français,Pucheu retrouve,entre cent mille adhérents ayant en moyenne trente-quatre ans, Drieu La Rochelle,Bertrand de Maud'huy, Bertrand de Jouvenel. D'où le nouveau parti tire-t-il ses fonds?

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