Philippe Pétain, chef de l'Etat Français

Philippe Pétain, chef de l'Etat Français.
<< Faites entrer l'accusé>> Ce lundi 23 juillet 1945
Alain Decaux de l'Académie Française
<< faites entrer l'accusé!>> Ce lundi 23 juillet 1945, dans  l'enceinte de la première chambre de la Cour d' Appel   de Paris, s'écrase. Pour mieux voir, certains s'agrippent aux boiseries du fond. Les photographes ont dû s'accroupir au pied de la Cour. D'autres n'ont pas redouté de se hisser sur le toit de la Sainte-Chapelle d'où la vue plonge sur la première chambre: à cause de la chaleur, les fenêtres en sont ouvertes. Des journalistes, accourus du monde entier,se sont battus pour obtenir des places. Dans le public soigneusement trié, beaucoup de résistants.
<<faites entrer l'accusé!>> Il est 13 heures. Par une petite porte, précédé d'un garde et suivi de ses trois avocats, l'accusé Philippe Pétain paraît: petite tenue de maréchal de France, uniforme kaki dont les manches s'ornent de sept étoiles, médaille militaire, ceinturon de soie, gants blancs en peau de chamois. Le silence s'est établi, écrasant. Alors le Maréchal élève son képi à triple couronne de feuilles de chêne d'or et salue à la ronde. L'assistance retrouve en un instant l'image même qu'on répandu à travers la France, de 1940 à 1944, des millions de photographies:toujours aussi droit, les yeux toujours aussi bleus, la moustache blanche aussi bien taillée. Soudain, d'un seul mouvement,ce public où Philippe Pétain compte tant d'ennemis se lève.Sans qu'aucun ordre leur ait été donné, plusieurs des gardes républicains se mettent spontanément au garde-à-vous.<< Choc magnétique>>,<<événement stupéfiant>>, imprimera la presse.Jean Schlumberger,dans le Figaro,voit à ce presque nonagénaire << vingt ans de moins que son âge>>.Et Joseph Kessel:<< Le front net,les joues roses, le torse droit.>>
Face à la Haute Cour, on a placé un fauteuil. Quelles polémiques n'a-t-il pas suscitées! Un journal a parlé d'<< inamissible mansuétude à l'égard du vieillard félon>>. Les avocats Fernand Payen, Jacques Isorni, Jean Lemaire ont fulminé:
--Laisserez-vous un maréchal de France, âgé de près de quatre-vingt-dix ans, de longues heures sur une chaise de paille?
Les responsables ont obtempéré. Donc, à l'invitation du conseiller Mongibeaux, président de la Haute Cour--robe rouge,hermine et barbe blanche--c'est dans un fauteuil que s'assoit le Maréchal.
Le plus grand procès politique de notre histoire contemporaine vient de commencer.Il se poursuivra durant près de trois semaines,jusqu'au 15 août. Il ne s'achèvera que par la condamnation à mort du vainqueur de Verdun, du restaurateur du moral de l'armée de 1917, de celui que la Chambre issue du Front populaire et le Sénat ont appelé, le 10 juillet 1940, à porter le terrible fardeau du désastre, de la défaite et de l'armistice.
Même en 1945,année intolérante s'il en est, il existe peu de Français intimement convaincus que Philippe Pétain soit un traître et qu'il ait--sciemment-- voulu jeter la France dans les bras d'Adolf Hitler.
La majorité n'estime pas ce vieillard justifiable, comme l'affirmera l'accusation, de cet implacable article 75 qui punit de mort les intelligences avec l'ennemi.La plupart n'oublient pas l'immense élan de reconnaissance --et de soulagement-- qu'ils ont ressenti en juin 1940.Une part notable de l'opinion crois toujours qu'il a existé un accord secret entre de Gaulle et Pétain. En revanche, ce que beaucoup reprochent au Maréchal, c'est la longue liste des abandons qui--en fin de compte, hélas--résume la politique de Vichy.Si le bilan de ces quatre années de gouvernement porte la trace d'un certain nombre de combats de <>, il faut convenir que ceux-là se sont presque toujours soldés par des défaites.Un autre reproche, plus amer,plus pesant: au nom du double jeu,le Maréchal avait-il le droit de laisser son gouvernement inciter ses nationaux à servir les Allemands, voire à s'engager dans leurs rangs,
Le képi aux sept étoiles a servi de drapeau à bien des gens qui n'en étaient pas dignes.L'un des principaux griefs que les générations futures adresserons à Philippe Pétain est d'avoir,dès le 2 octobre 1940,promulgué un statut des juifs--dont les conséquences se sont révélées terrifiantes--sans que l'occupant l'eût exigé, ni même souhaité. Or--chose qui nous paraît incroyable--nul, en 1945, ne semble y avoir songé. Pas une ligne dans les journaux. Au procès même, le témoin Marcel Paul,rescapé communiste de Buchenwald, s'irritera que l'on veuille parler des juifs:<< C'est une autre question.>>Soixante-huit témoins seront entendus par la Haute Cour; parmi eux, aucun juif.
Ce contre et ce pour, on va l'étaler dans l'enceinte de la première chambre. Le vieux Maréchal l'a voulu.
Dès qu'il a appris--en Allemagne-- qu'un procès était instruit contre lui, il a immédiatement demandé à Hitler de le laisser rentrer en France:
--Je veux défendre mon honneur.

Jamais,depuis le temps où Louis XVI comparaissait devant la Convention,un procès politique n'a été ressenti avec autant d'acuité.Il va se plaider alors que le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française,exerce le pouvoir. Pour une grande partie des français, la position de l'homme du 18 juin,face à l'accusé,reste une énigme. N'a-t-il pas dédié son ouvrage la France et son armée << à Monsieur le Maréchal Pétain qui a voulu que ce livre fût écrit,qui dirigea de ses conseils la rédaction des cinq premiers chapitres, et grâce à qui les deux derniers sont l'histoire de notre victoire>>
N'a -t-il pas placé sous le patronage de Philippe Pétain un autre livre, Le fil de l'épée,avec ce commentaire: Cet essai,Monsieur le Maréchal,ne saurait être dédié qu'à votre gloire, quelles vertus l'action peut tirer des lumières de la pensée>>? Jeune officier,de Gaulle se vantait avec orgueil d'être <>. Longtemps, une fois par semaine,il a été reçu boulevard des Invalides,à la table du Maréchal.Quarante deux millions de Français se demandent,l'été de 1945, si le général de Gaulle a délibérément décidé qu'au déshonneur d'une comparution en Haute Cour fût ajoutée la contrainte physique, le panier à salade,la cellule d'une prison.

Le 25 juillet 1943,le roi d'Italie Victor-Emmanuel III, ne doutant plus d'une victoire des Alliés, fait arrêter et emprisonner Mussolini. A l'hôtel du Parc qui abrite à Vichy--l'un au dessus de l'autre-- le chef de l'Etat et Pierre Laval,vice-président du Conseil,on se met à rêver. A l'étage du Maréchal exclusivement. Autour de Pétain, un complot se noue: il faut éloigner Laval, trop compromis dans la collaboration. Désormais, l'attentisme doit être de rigueur. Quand l'Auvergnat sera écarté,on convoquera l'Assemblée nationale,jamais réunie depuis le 10 juillet 1940.Pétain lui soumettra la Constitution qu'il s'est à cette date engagé à établir et qui devait consacrer"les droits du Travail,de la Famille et de la Patrie". Ainsi fera-t-il pièce à la menace qu'il sent venir d'Alger où le Comité Français de libération nationale s'apprête à mettre en place une Assemblée consultative laquelle doit accueillir tous les courants de la Résistance.Après avoir définitivement éloigné Giraud,de Gaulle, soutenu par cette assemblée,pourra aux yeux du monde,exciper de sa légitimité. Considérant qu'il devient urgent de reconquérir sa prope indépendance,Pétain déclare à Laval:"Vous n'êtes plus l'homme de la situation".Acte quasiment révolutionnaire:le Maréchal fait séparer"hermétiquement" son étage et celui de Laval.
Le 12 novembre, on annonce que le chef de l'Etat va prononcer à la radio un important discours. Ne se méfiant de rien,la presse sous contrôle--et quel contrôle!--fait connaître l'évènement avec de gros titres.Les Français se mettent à l'écoute. Surprise: à la place du discours,la radio "nationale" diffuse l'opérette Dédé, charmante d'ailleurs,symbole des temps heureux de l'entre-deux guerres. Au dernier moment, la censure allemande a interdit le discours du Maréchal.
Que reste-il du complot? Une certitude: le Maréchal a cru pouvoir oublier que les Allemands occupaient la France. Ils se sont brusquement rappelés à son souvenir. Le 29 novembre, Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Führer, va sévèrement tancer le vainqueur de Verdun. Désormais la "direction suprême de l'État français " devra soumettre "toutes les modifications des lois à l'approbation du Reich"; il faudra que M. Laval remanie son cabinet "dans un sens acceptable pour le gouvernement allemand"; on devra "éliminer immédiatement tous les éléments gênant  le travail sérieux de redressement". Ribbentrop réclame "l'exécution rapide de ces demandes, rappelant au vieil homme que l'Allemagne "mène  actuellement un dur combat contre le bolchevisme" qui profite "également à la sauvegarde du peuple français".
Non seulement le Maréchal rentre dans le rang,mais il va présenter des explications qui ressemblent à des excuses, soulignant que sa politique,elle aussi," par la lutte contre le terrorisme", s'inscrit dans la perspective de "la défense de la civilisation occidentale". Quelques mois plus tard,dans l'arrière-plan de tragédies qui épouvantent la France-- sur ordre de leur chef Joseph Darnand,ministre de Pétain,les miliciens sèment la mort parmi les "terroristes" et les résistants font couler le sang des "collabos"--le Maréchal tiendra à faire connaître aux Français que leur pays "n'est pas en guerre". Le message enregistré sera diffusé au moment même où les premiers GI's déferlent et meurent sur les plages de la Manche.
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